Il y a soixante-dix ans, un Conseil de la Résistance était constitué. Ce fut, on le sait bien aujourd’hui, un événement politique majeur. L’expression que nous publions à son propos se veut simple rappel des circonstances qui virent naître le Conseil.
Le processus de surgissement et d’installation du Conseil de la Résistance a été complexe, marqué d’enjeux aujourd’hui bien oubliés et qu’il convenait de rappeler brièvement. La présente rédaction est découpée en quatre parties, les trois premières présentant le contexte de la création du Conseil, la quatrième donnant au lecteur accès à des documents au bout du compte assez peu connus. Bien évidement il est souhaitable qu’un débat puisse s’ouvrir à propos de ce qui est dit ici. Rendez-vous est d’autre part pris pour que, jusqu’en 2014, il soit reparlé du CNR, de son action, de son programme et de sa fin. A bientôt donc. André Narritsens Le 27 mai 1943, au n° 40 de la rue du Four, dans le sixième arrondissement de Paris, dix-neuf hommes sont réunis [1]. Aux trois organisateurs de la réunion (Jean Moulin, Robert Chambeiron, Pierre Meunier) se sont joints seize représentants de mouvements de Résistance, de partis et de syndicats. Cette réunion qui scelle le terme d’un long processus officialise la formation du Conseil de la Résistance [2]. Au lendemain de la capitulation vichyssoise, l’affirmation du refus s’est produite en ordre dispersé. A l’installation à Londres de ce que l’on appellera « la France combattante », s’est bientôt ajoutée l’émergence de groupes résistants sur le territoire national. Émergence des RésistancesA côté du Parti communiste français, réduit à la clandestinité depuis septembre 1939 et qui a progressivement développé, autour de ses propres structures, des organismes d’action unitaires [3], dont le Front national de lutte pour la libération de la France créé le 15 mai 1941 [4] sera l’expression principale, d’autres organisations sont nées. Ce sont longtemps de petits groupes peu reliés entre eux qui s’inscrivent dans la division spatiale du pays résultant de l’armistice et dont l’action se réduit le plus souvent à la propagande, à l’aide aux évadés (ou aux aviateurs anglais abattus au dessus du territoire national) et au renseignement. Des liens avec Londres d’abord très irréguliers sont progressivement consolidés avec les « mouvements » les plus importants qui débouchent sur diverses aides logistiques sans pour autant se traduire par la reconnaissance de l’autorité du général de Gaulle. Les services de « la France Combattante » impulsent aussi l’organisation de réseaux de renseignements et il en est de même des services secrets britanniques. On ajoutera que la division du territoire en deux grandes zones [5] provoque des modes et des logiques de résistance différents qui installent des singularités. Dans ce bouillonnement important, mais somme toute circonscrit, le Parti communiste se situe dans une situation particulière. Non seulement il est le seul parti d’avant guerre à avoir subsisté et adapté son action aux conditions d’une dure clandestinité, mais au printemps 1942 il a unifié les structures de protection et d’action armée (l’Organisation spéciale notamment) qu’il a mises en place dès l’automne 1940 en créant les Francs tireurs et partisans qui seront officiellement l’organisation militaire du Front national. Le développement de la lutte armée sur tout le territoire qui est ainsi visé impose des modes de direction politico-militaires centralisés et enracine une conception de la libération nationale qui va progressivement s’imposer et modifier les positions attentistes longtemps défendues à Londres comme dans les composantes non-communistes des Résistances intérieures. De deux choses l’une en effet : ou bien la libération du territoire se produit de l’extérieur et ne reçoit l’appui des forces résistantes intérieures qu’une fois lancée l’offensive alliée sur le territoire, ou bien la libération se réalise dans le contexte d’un développement de la lutte armée (« l’action immédiate ») qui installe une armée populaire opérationnelle acquérant dans l’action de guérilla l’expérience militaire et créant les conditions politiques d’une vraie libération nationale. Cette orientation rejoint objectivement celle que le général de Gaulle a formulée le 18 avril 1942 sur les ondes de la BBC : « la libération nationale est inséparable de l’insurrection nationale » [6]. L’automne 1942 et les premiers mois de l’année 1943 sont lourds d’événements considérables. Certes l’ouverture d’un second front à l’ouest n’est toujours pas concrétisée mais un débarquement allié est réussi en Afrique du nord le 8 novembre 1942 entraînant, trois jours plus tard, en riposte, l’occupation par les allemands de la zone sud. De leur côté, les américains manœuvrent en propulsant le général Henri Giraud ancien vichyste mais anti allemand, à la tête de l’Empire colonial et des armées qui y séjournent. A l’est, les succès de l’Armée rouge, que symbolise la grande victoire de Stalingrad, témoignent d’un tournant dans la guerre : les jours du Reich nazi et de ses alliés sont désormais comptés. Cette situation, en évolution rapide, soulève des questions nouvelles au nombre desquelles figure la nécessité de mieux relier les Résistances intérieures toujours dispersées, de clarifier les relations entre ces Résistances et la Résistance extérieure bâtie autour du général De Gaulle, de dissiper la confusion qui se manifeste entre Londres (Charles de Gaulle) et Alger (Henri Giraud), de mettre en place des institutions capables de piloter le pays en voie de libération. À suivre... Notes[1] André Mercier (PCF), André Le Troquer (SFIO), Marc Rucart (parti radical), Georges Bidault (démocrates chrétiens),Joseph Laniel (Alliance démocratique), Jacques Debû-Bridel (Fédération républicaine), Louis Saillant (CGT), Gaston Tessier (CFTC), Pierre Villon (Front national), Pierre Coquoin (Ceux de la Libration), Jacques Lecomte-Boinet (Ceux de la Résistance), Charles Laurent (Libération Nord), Pascal Copeau (Libration Sud), Jacques-Henri Simon (Organisation civile et militaires, Claude Bourdet (Combat), Eugène Claudius-Petit (Franc Tireur). [2] L’adjectif « national » n’apparaîtra qu’à l’automne 1943. [3] Des comités populaires de divers types notamment. [4] L’appel à la formation du Front est publié dans le n° des Cahiers du bolchevisme des 2e et 3e trimestres 1941. Début juillet, des personnalités pressenties pour parrainer le Front rédigent un manifeste intitulé « comité d’organisation du Front national » qui est diffusé dans les deux zones. [5] Zone nord (occupée par les allemands en vertu de la convention d’armistice de juin 1940) et zone sud (soustraite à l’occupation allemande). A ces deux zones s’ajoute une zone interdite qui couvre dix-sept départements du nord et de l’est. [6] Le 25 novembre 1942 lors d’une rencontre clandestine entre Fernand Grenier, représentant du Comité central, du PCF et le colonel Rémy du BCRA, un accord est réalisé sur un programme d’action commun qui prévoit une entente étroite entre le PCF et les Forces françaises combattantes et comporte deux points essentiels : la nécessité de l’insurrection nationale et de sa préparation immédiate, le droit absolu pour le peuple français de décider lui-même de son destin après la victoire. |